2024.1568
THEME
Entreprises-Comptes, Service bancaire de base
AVIS
Présents
Monsieur R. Steennot, Président.
Messieurs, A. Guigui, P D’Haen, P. François, E. Van den Haute, J. Vannerom, membres.
Date : 19 novembre 2024
1. LA PLAINTE
La plainte concerne le refus d’octroi du service bancaire de base (ci-après « SBB ») par la banque après que la Chambre du service bancaire de base (ci-après « CSBB ») ait désigné cette banque pour fournir un SBB à la société plaignante. La société a pour objet statutaire, entre autres, le commerce de gros de minerais et de métaux, y compris l’or.
Voici un bref récapitulatif des faits :
Le 29 janvier 2024, le plaignant a soumis sa demande de SBB à la CSBB pour sa société après avoir essuyé trois refus auprès de trois institutions différentes et ce, conformément à l’article VII.59/4, § 1er, alinéa 1er du Code de droit économique (ci-après, CDE), qui prévoit que toute entreprise établie en Belgique qui, conformément à l'article III.17, est inscrite dans la Banque-Carrefour des Entreprises ou en fait la demande, et qui, s'est vu refuser, par au moins trois établissements de crédit, une demande d'ouverture d'au minimum les services de paiement visés à l'article I.9, 1°, a, b ou c, a droit au SBB.
Le 26 mars 2024, ladite CSBB a choisi de désigner une Banque comme prestataire de SBB sur base des modalités d’étalement visées à l’article 3, deuxième paragraphe de l’arrêté royal du 16 décembre 2022. Le 10 avril 2024, la Banque a pris contact avec le plaignant et il a fourni tous les documents requis pour leur analyse. Sa demande a été refusée par la Banque, le 26 juillet 2024 et ce refus a été confirmé le 21 août 2024.
Il a introduit la présente plainte, en application de l’article VII.59/7 du code de droit économique, le 2 septembre 2024, contre ce refus de la Banque, l’estimant mal motivé et enjoignant Ombudsfin de contraindre la Banque à accorder ce SBB à la société qu’il représente.
2 POSITION DE LA BANQUE
La banque a examiné sa demande et a refusé le SBB au motif qu’elle ne sera pas en mesure de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par les articles 34 et 35 de la législation anti-blanchiment (l’obligation de vérifier la nature de la relation d’affaires et l’obligation de vigilance). De plus, la Banque argumente qu’en cas d’octroi du SBB, elle devrait immédiatement procéder à sa résiliation et qu’il n’est pas logique d’établir une relation d’affaires dont on sait qu’elle devra être immédiatement interrompue.
La Banque estime que son refus est parfaitement justifié sur pied de l’article VII.59/6, § 3 du Code de droit économique, tel que complété par l’Arrêté royal du 16 décembre 2022 relatif au service bancaire de base pour les entreprises puisque, selon Banque, l’article 2, §8, al. 1 de l’Arrêté royal du 16 décembre 2022 prévoit la possibilité offerte à la Banque, en tant que prestataire désigné, de refuser le service bancaire de base en vertu de la Loi du 18 septembre 2017.
3 POSITION DU COLLEGE
Il convient de rappeler qu’en l’espèce, la Banque a été désignée par la CSBB pour fournir à la partie plaignante le SBB. Cette désignation a été effectuée après qu’il ait été constaté par la CSBB que toutes les conditions légales pour bénéficier du SBB étaient bien remplies, en ce compris la sollicitation d’un avis auprès de la CTIF. Toutefois, la banque a refusé de fournir le SBB, s’appuyant principalement sur le fait qu’elle ne serait pas en mesure de satisfaire à l’obligation de vérifier la nature de la relation d’affaires prévue à l’article 34 de la législation anti-blanchiment, ni à son obligation de vigilance en vertu de l’article 35.
Selon le collège d'experts, le motif invoqué ne constitue toutefois pas un motif valable pour refuser le SBB.
L’article VII.59/6 § 3 du Code de droit économique (CDE) prévoit les motifs de refus dont dispose un établissement de crédit après avoir été désigné par la CSBB. L’article VII.59/6 § 3 CDE ne contient que deux motifs de refus :
• une condamnation pour certaines infractions sanctionnées pénalement ;
• l’ouverture, après la demande de service bancaire de base, d’un compte de paiement permettant d’obtenir ces services.
Ces deux motifs de refus prévus à l’article VII.59/6 § 3 CDE sont complétés par des motifs supplémentaires prévus dans l’Arrêté royal du 16 décembre 2022 relatif au service bancaire de base pour les entreprises. L’article 2 § 8 de cet arrêté fait, en particulier, référence aux obligations d’identification et de vérification de l’identité.
Comme déjà indiqué dans un avis précédent, d’autres obligations contenues dans la législation anti-blanchiment, telles que les obligations imposées par les articles 34 et 35 de la loi anti-blanchiment, ne constituent en principe pas un motif valable de refus du SBB après une désignation formelle par la CSBB.
Cette approche se justifie par le fait que la CSBB sollicite, avant d’attribuer le SBB, un avis auprès de la CTIF, et qu’elle ne peut attribuer le SBB en cas d’avis négatif.
L’attribution du SBB n’est possible (art. VII.59/4 § 3 CDE) que :
• sur avis positif, cas auquel cas l’établissement de crédit peut raisonnablement supposer que, tant que les circonstances ne changent pas, il n’y a pas de violation en matière de blanchiment.
• dans les cas où la CTIF ne donne aucun avis dans un délai de soixante jours.
L’octroi du SBB sans avis de la CTIF, comme dans ce cas, peut placer les établissements de crédit dans une situation délicate, compte tenu de leurs obligations de contrôle en matière de blanchiment. Toutefois, cela ne justifie pas, selon le collège, que l’établissement de crédit désigné refuse le service bancaire de base sur la base des articles 34 ou 35 de la loi anti-blanchiment.
Si, après sa désignation, l’établissement de crédit désigné estime qu’une opération concrète ou un autre fait constitue une violation de la législation anti-blanchiment, il devra évidemment agir conformément à ses obligations en matière de prévention du blanchiment et, le cas échéant, procéder à la rupture de la relation. L’article VII.59/6 § 2 CDE lui permettra alors de procéder à la résiliation du SBB.
4. CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN
L’article VII.59/7 CDE prévoit : « Le service de médiation des services financiers se prononce sur les litiges qui lui sont soumis. Il peut annuler la décision de l'établissement de crédit. La décision est contraignante pour l'établissement de crédit et est communiquée tant à l'établissement de crédit qu'à l'entreprise concernée. ».
Dans le présent litige, Ombudsfin peut donc annuler la décision de l'établissement de crédit. La décision est alors contraignante pour l'établissement de crédit et est communiquée tant à l'établissement de crédit qu'à l'entreprise concernée.
Cette affaire concerne le refus d'un service bancaire de base par le prestataire de services bancaires de base désigné par la chambre bancaire de base. Ombudsfin examine si la banque peut se prévaloir des motifs avancés pour le refus.
Compte tenu de ce qui a été soulevé par notre collège, Ombudsfin insiste sur le fait que l'incapacité de satisfaire aux obligations d'identification et de vigilance en vertu de la loi du 18 septembre 2017 n'est pas prévue comme motif de refus d'ouvrir un service bancaire de base, mais seulement comme motif de résiliation (dans le cadre d’un service bancaire de base existant). La loi peut certes paraître inconsistante sur ce point mais elle est claire et doit être respectée.
En l’espèce, Ombudsfin relève que la banque n’invoque pas les motifs de refus prévus aux articles 10 et 11 de l'arrêté royal du 16 décembre 2022 qui sont les seuls valables.
En conséquence, Ombudsfin rejoint l’analyse des experts et invite Banque à accorder le SBB à la société. Cette décision est contraignante.
Ceci étant, si Banque devait estimer qu’une opération concrète ou un autre fait spécifique, postérieur à l’ouverture du service bancaire de base, constitue une violation de la législation anti-blanchiment, elle devrait évidemment agir conformément à ses obligations en matière de prévention du blanchiment et, le cas échéant, procéder à la rupture de la relation. L’article VII.59/6 § 2 CDE lui permettrait alors de procéder à la résiliation du SBB.